Il
en aura fallu du temps avant de pouvoir traverser les 200 km qui
séparent la Malaisie et l'Indonésie dans la partie étroite du
détroit de Malacca. Nous avions établi un contact avec M Lim à
Penang qui organise la traversée pour de nombreux motards à un
tarif raisonnable et des procédures relativement simples. M Lim nous
avait informé que la traversée s'effectuait 1 fois par semaine, le
samedi, et que nous devions lui amener les motos à Penang le
mercredi pour effectuer le chargement sur le bateau.
Jinsang sous le regard attentif de Deniz |
En
quittant Johor Baru on disposait d'une grosse semaine avant de
retourner à Penang et nous avons saisi l'opportunité pour revenir
vers Kuala Lumpur par la côte Est de la Malaisie. Nous souhaitions
aussi en profiter pour visiter l'atelier Sunny Cycle et faire une
révision mécanique complète avant de s'aventurer en territoire
moins BMW « friendly ». Les chaînes des motos avaient
besoin d'être changées, 1 pneu, 1 batterie, les plaquettes des
freins, bref une bonne mise à jour. Jinsang, le fils mécanicien de
Sunny, lui-même motocycliste aguerri, m'informa que le disque
d'embrayage de ma Marseillaise avait fait son temps. Comme j'étais
rassuré par leur compétence et leurs tarifs équitables, nous avons sauté
sur l'occasion.
Sunny and Co. |
Nous voilà prêt pour retourner à Penang quand je
m’aperçoit que le changement de batterie n'a pas réglé mon
problème de charge. Il n'y a ensuite que 2 possibilités assez
majeures : le régulateur de voltage ou la bobine de
l'alternateur. Sunny n'a pas ces pièces en stock. Je fais donc appel
à mon sauveur Roger à Montréal. Par le temps qu'on trouve une
solution M Lim nous avise qu'il peut nous attendre jusqu'à vendredi
pour embarquer les motos, mais pas plus et qu'il n'y aura pas de
service la semaine suivante, les traversées par bateau ayant perdu
de leur attrait du fait des liaisons aériennes bon marché et très
fréquentes. Le temps nous joue un sacré tour.
La bobine grillé |
Il s'avérera que
c'est la bobine d'alternateur qui est grillée et c'est impossible
d'en avoir une dans un délai qui nous permettrais de nous rendre à
Penang pour le vendredi. La pièce originale chez BMW vient avec un
kit complet d'aimant et coûte une somme faramineusement BMW. Sunny
m'offre de faire reconditionner ma bobine grillée pour la somme de
$100 et ce sera prêt dans 2 jours. La réflexion fut de courte
durée : mon papa mécano faisait toujours refaire les bobines
et ça durait bien assez longtemps. Sauf qu'on a manqué le bateau de
M Lim. J'étais aussi en contact avec un dénommé Izainil qui
agissait comme agent pour organiser la traversée de motos avec le
ferry pour passagers depuis Port Klang, à tout juste 30 km de Kuala
Lumpur. Les communications avec lui étaient difficiles, manquant
d'informations et pour finir désagréables. Quand les motos furent
enfin « top shape », on a décidé de se rendre en
personne à Port Klang et de voir comment on pouvait s'organiser
nous-même.
La descente qui mène à la porte du traversier |
Ce fut un peu plus de travail pour nous mais somme toute
une aventure extraordinaire que d'embarquer nos « grosses »
montures dans l'allée d'un traversier de passager, en descendant les
escaliers des embarcadères pas prévus pour ça. Une fois la douanes
passée pas question de se faire rembourser le ticket si les motos ne
pouvaient pas entrer par la petite porte du bateau. Les guidons
étaient trop larges, mais en faisant un petit « twist »
ça passait, parole de déménageur.
Les motos à l'étroit dans le portique du traversier |
Le
bateau est parti avec 2 heures de retard et il a fallu presque 5
heures pour arriver à Tanjung Balai, tout petit port de Sumatra sur
la côte Est. De débarquer les motos par l'escalier à pic sur le
quai minuscule et de s'affranchir des formalités de douane sous le
regard émerveillé d'un foule hétéroclite de voyageurs et de
douaniers perplexes, ne fut pas une simple tâche. Il a fallu faire
passer les motos par l'intérieur du bâtiment et soumettre au scan
chacun de nos sacs et chacune de nos caisses.
Passée au peigne fin |
Tous les douaniers
étaient très avenant, mais nous n'avons pu quitter le port avant 19
heure, sous une faible pluie, à la tombée du jour, avec une bonne
demi-heure de route à parcourir avant d'espérer trouver un hôtel.
La sortie du traversier n'était pas plus aisée |
Les routes Indonésiennes sont réputées pour être parmi les plus
dangereuses de la planète à cause du chaos permanent qui y règne.
Imaginez de nuit, sous la pluie et exténué pour notre première
randonné! Le grand hôtel de Tanjung Balai nous a fait l'effet d'un
mirage dans la noirceur rurale. On s'y est échoué pour 2 nuits, le
temps de digérer notre arrivée et de préparer cette nouvelle étape
de notre aventure.
Tanjung Balai au petit matin |
Au matin, après un surprenant petit-déjeuner, on
a eu vite fait de trouver tout ce dont on avait besoin dans la petite
ville que nous avions traversé la veille. Un guichet, des cartes SIM
pour nos téléphones et une pour l'internet et quelques fruits pour
nos estomacs au combat. On était « greillé » pour
partir loin.
Le lac Danau Toba |
En
direction de la côte Ouest de Sumatra, le lac Toba, long d'une
centaine de kilomètres, apparaît bien paisible pour un des plus
grands super volcan du globe terrestre. Niché à plus de 1000 mètres
d'altitude, c'était l'endroit idéal pour tomber en panne. En
arrivant à moins de 1 kilomètre du village de Parapat, on décide
de faire une pause thé/photo et pfffuit, plus rien ne fonctionne sur
la moto de Deniz.
Tesla tout nu |
Je sors l'attirail d'outils pour m’apercevoir
rapidement que je ne trouverai pas le problème et encore moins la
solution, dans un court laps de temps. J'abandonne Deniz au soins du
cantinier pour aller quérir un endroit où nous installer et de
l'aide pour y traîner la bécane récalcitrante. Les gens de l'hôtel
ont été d'une gentillesse indescriptible et ils sont venu à 3
hommes et une fourgonnette pour ramener Tesla dans la cour. Quand
j'ai voulu les rétribuer pour le service ils n'ont rien voulu
entendre.
Le relais fauteur de trouble |
Une
fois de plus, mon sauveur Roger et Sunny et sa famille, ont été mis
à contribution pour nous aider à trouver la source du problème
avant de tenter de le régler. Après 4 jours d'échange de
courriels, de téléphones et de divers essais pas concluant, j'ai
fini par découvrir l'élément fautif : le relais du démarreur.
C'est en faisant une course au village avec le relais en question
dans mes poches que j’aperçois 2 jeeps équipées pour une
sérieuse expédition, stationnées près d'un petit hôtel, la
transmission d'une des deux jeeps en petits morceaux sur la véranda.
M Leo et sa famille, fier fondateur du "Bikers Brotherhood" |
Les deux jeunes indonésiens ont eu tôt fait de me présenter au
« chef » du groupe, M Leo, un membre fondateur du
« Bikers Brotherhood of Indonesia », un genre de gentil
Hell's Angels. Il est très enthousiaste de faire ma connaissance et
celui des 2 jeunes indonésiens qui s'avère être le mécano de
l'expédition, me répare le relais défectueux en un temps trois
mouvements. Pour les remercier de ne pas avoir à nous faire expédier
un minuscule relais et d'attendre 1 semaine de plus dans ce paradis
perdu, on les invite tous à souper. Ils sont 8 en incluant sa femme
Rica et leurs 2 enfants qui voyagent avec eux. Au fil de la soirée,
M Leo organise même pour le lendemain l'expédition d'une batterie
neuve par un contact à lui à Medan, et nous fourni quelques numéro
de téléphones qui pourraient nous être utile en cas de pépin, ou
simplement pour nous accueillir tout au long de notre route.
Une petite pause après un bout ardu |
C'était
le moment de renouer avec la rocambolesque route indonésienne et de
nous rendre à Sibolga, sur la côte Ouest. Elle est parfois
impeccable et sinueuse comme dans les Alpes, d'autres fois éventrée
par l'interminable défilé de poids lourds qui la sillonne
frénétiquement. Les innombrables villages qui jalonne le parcours
constituent autant de possibilités de voir surgir les chèvres,
chiens, vaches, mormons à bicyclette, livreurs de charbon ou de
poisson, écolières voilées et insouciantes, c'est une occasion
impérative pour nous de pratiquer la « pleine conscience »,
un question de survie.
Joyeuse rencontre sur une route intense |
Les distances à parcourir chaque jour pour
atteindre une ville où on trouvera un hôtel ne sont pas très
grandes, mais notre vitesse moyenne de 50 km/h et la chaleur intense
nous limite à maximum 300 km par jour. La fin de journée est
immanquablement marquée par une bonne averse, voir souvent
diluvienne, ce qui rend notre quotidien exténuant.
Nous
nous sommes arrêté à Bukittingi 2 jours et 3 nuits après une
intense randonnée de 12 heures dont les 3 dernières dans la
noirceur sous une pluie battante. Impossible de trouver un endroit où
se poser sur les derniers 60 kilomètres.
La baie de Padang sur la côte Ouest de Sumatra |
Assez
charmant comme petite ville Bukittingi. 2 volcans à proximité et le
lac Maninjau dont nous avons fait le tour juste avant de se faire
encore surprendre par la grosse averse de fin d'après-midi en
rentrant. De Bukittingi jusqu'à Bengkulu c'est plus de 600
kilomètres sur une routes magnifique qui longe l'océan Indien le
plus souvent. On a fait étape dans un bled dont on ne se souvient
pas du nom, à environ 80 kilomètres de Mukomuko, si ça peut vous
situer.
Rizière bucolique tout au long de notre route |
Un attroupement spontané |
Le
simple fait se s'arrêter un moment dans une agglomération à vite
fait de créer un petit attroupement autour des motos et une cascade
de question par ceux qui connaissent quelques rudiments d'anglais.
Tout le monde veut avoir sa photo avec nous et on doit parfois faire
preuve d'imagination pour trouver un coin tranquille pour prendre une
pause sans se faire photographier par les aborigènes pour leur page
facebook. C'est le monde à l'envers!
Après
Bengkulu, il nous restait encore plus de 800 km avant d'arriver au
port de Bakauheni où il y a le traversier qui nous dépose sur
l'île de Java.
Une petite route fort surprenante |
On a dû faire escale à Lahat et encore à Kotabumi
avant de parcourir les infernales derniers 200 km de cette route. Le
défilé constant de gros camions de tous genres, exhalant d'immenses
nuages noirs en peinant à monter à les côtes, suivi par une
multitude de véhicules toutes catégories confondues, a fini par
nous faire rêver désespérément d'air pur. Ici, aucune règle
routière ne s'applique : on dépasse à gauche, à droite, sur
l’accotement quand il y en a un, dans le gravier quand il n'y en a
pas, deux de large quand le temps et l'espace nous le permettent,
tout est permis et le but est de se trouver en avant du peloton.
Transport en commun hyper Hi-tech |
Quand
on s'est arrêté à Kotabumi, c'est ma Marseillaise qui a eu une
rechute du système de charge : décidément notre séjour sur
Sumatra s'avère dur pour les systèmes électriques! J'ai mis la
batterie sur la charge toute la nuit en espérant que sa tiendrait le
coup jusqu'à Jakarta. J'ai débranché le phare pour soulager le
système, mais je soupçonne la bobine d'avoir à nouveau souffert de
la chaleur.
M
Leo nous a mis en contact avec Momon qui nous attendait impatiemment.
Il est lui-même un grand aventurier dans son pays, fervent
motocycliste (il en a une pareille à celle de Deniz!), il habite
avec sa petite famille dans une magnifique et tranquille propriété
(fioufff!) dans la banlieue Sud-Est de Jakarta.
La grande famille de Momon |
Nous ayant fourni les
coordonnées de sa résidence, nous avons sonné à sa porte après
avoir parcouru illégalement les 100 km qui séparent Merak et
Jakarta sur l'autoroute à péages, interdite aux motocyclettes.
Quand la police nous a interpellé, à peine 10 km avant d'arriver à
destination, j'ai sorti mon meilleur français pour leur expliquer
que c'était la route proposée par le GPS, que nous ne voulions pas
nous égarer à Jakarta, que dans tous les autres pays nos grosses
motos sont habiletés à circuler sur les voies rapides, bref qu'il
était impensable d'envisager un autre itinéraire. Décontenancé
par mon « incompréhension » de la langue de Shakespeare
et mon charabia francophone, ils nous ont escorté sur 4 ou 5 km
avant de nous laisser aller, rassurés par notre conduite.
L'équipe prête à s'élancer dans les flots |
Après
sa retraite de Caterpillar, Momon à démarrer une petite entreprise
qui offre une formation spécialisée dans la conduite de véhicules
tout terrain « hors route ». Leur formation est devenu
obligatoire pour circuler sur les chantiers des nombreuses mines
d'Indonésie. Il est une source inépuisable d'informations
concernant toutes les facettes de la culture indonésienne puisqu'il
l'a parcouru dans tous les sens. Momon et sa famille sont d'une
infinie générosité, comme des anges tombés du ciel. Malgré toute
mon imagination je ne suis arrivé qu'une seule fois à payer quelque
chose. Il nous a trimbalé dimanche jusqu'au centre de Java pour y
faire une descente de rafting mémorable et prend soin que chacun de
nos repas soit une occasion de découvrir une spécialité
indonésienne.
Rizière, encore une autre, mais on ne s'en lasse jamais |
On aurait volontiers accepté de rester ici plus
longtemps si nous avions plus de temps à notre disposition. On
commence à réaliser que deux mois seront loin d'être suffisant
pour découvrir l'Indonésie : c'est une année entière qu'il
nous faudrait! On y reviendra pour sûr...
La baie de Sibolga |
On
part demain retrouver M Leo et sa famille dans leur fief à Bandung,
à « seulement » 2 ou 3 heures de route de Jakarta. On a pris
l'habitude de partir très tôt pour profiter de la fraîcheur du
matin et de la circulation un tout petit peu moins intense à cette
heure là. Java nous semble bien différente de Sumatra, et paraît-il
qu'il en est ainsi de toute l'Indonésie, une palette de cultures
aussi nombreuse qu'elle compte d'îles. Ça en fait de la diversité
culturelle à découvrir!