Trois
jours avant de quitter Graz, le matin même ou
nous avions prévu de nous rendre au Marché aux Puces sabbatique
pour y vendre les quelques objets de « valeur » que nous
avons accumulé pendant notre séjour en Autriche, je me suis levé
avec un lumbago carabiné et Deniz s'est échappé la moto sur le
pied gauche en tentant de se rendre là-bas. Trois jours pour se
remettre, chacun de son côté, de ces maux vides de sens mais
tellement bien sentis, c'était un peu juste. Comme il fallait
absolument libérer l'appartement, puisque d'autres gens
emménageaient le 1er août, il fallait élaborer un plan « B ».
Plusieurs amis(es) se sont très généreusement offerts pour nous
héberger si notre état ne nous permettait pas de partir.
Martinek, notre ami Tchèque, à Graz |
C'est
pas croyable le nombre de choses qu'on ramasse en si peu de temps.
Heureuse coïncidence que toutes nos fréquentations à Graz étaient
des gens pas trop fortunés qui ont grandement apprécié notre
générosité de dernière minute : ça faisait l'affaire de
tout le monde. La journée Marché aux Puces nous a permis de se
défaire des plus « gros morceaux ». Le matin du 31
juillet, nos souffrances respectives nous semblant tolérables, Deniz
et moi avons enfourché nos deux fières destriers et avons quitté
Graz et l'Autriche pour nous rendre au lac Balaton, pas trop loin en
Hongrie, une demi-journée sans pousser la machine. On y a pris un
excellent repas « organique » dans une sympathique
auberge, passé une paisible nuit, mais pas sans avoir poussé un
grand soupir de soulagement d'être enfin sur la route. Deniz se
promettant dès le premier jour de faire de grands « ajustements »
dans ses bagages une fois rendu en Turquie, je retrouvais, moi, le
plaisir et le confort du voyageur aguerri que je suis devenu par la
longue pratique. Notre périple à travers les Balkans pouvait
commencer!
Première
étape : Belgrade, capitale de la Serbie. Petite précision :
il n'y a que très peu de cartographie GPS disponible pour les pays
des Balkans. Il fallait par conséquent trouver une bonne vieille
carte routière.
En quittant le lac Balaton et la Hongrie la route la
plus « sensée » nous menait d'abord en Croatie. Cette
seconde journée, au travers ces régions plutôt « plates »,
recouvertes de vastes étendues agricoles, aurait passé inaperçu,
n'eut été le passage des douanes. Bien qu'elle ait un visa Schengen
en règle dans son passeport, le fonctionnaire de faction ne trouvait
pas le tampon indiquant la date d'entrée. Après moult
tergiversations il a tout de même consenti à nous laisser partir,
non sans garder un point d'interrogation au fond de l'œil. Ce n'est
qu'en arrivant à Belgrade, exténué et trop tard pour visiter un
peu la ville, que Deniz s'est souvenu qu'elle avait utilisé sa carte
de résidence quand nous sommes revenus de Turquie en juin. Comme
nous visions de nous rendre à Sarajevo le lendemain, notre soirée à
Belgrade se sera limitée à un mauvais « burritos mexicain »,
sur la grande avenue piétonnière du centre-ville. Vous me direz que
les probabilités d'être déçu par la gastronomie mexicaine en
Serbie sont grandes et je vous dis que vous avez entièrement raison:
à Rome, mangez comme les romains! Nous avons quand même réussi à
trouver une très bonne carte routière avant d'aller nous échouer
dans les lits douillets d'une auberge de jeunesse très « class ».
Paysage récurrent sur la route des Balkans |
Avant de sombrer dans les limbes de la nuit, j'ai eu le temps de
faire une petite recherche sur l'histoire de cette ex-Yougoslavie
(wikipedia regorge d'informations sur tous les aspects du sujet). Je
suis encore perplexe et consterné par les actions horribles commises
par des politiciens/chefs d'états qui s'approprient un certain
pouvoir et qui, sous l'effet de l'intolérance un certain matin,
lancent des soldats, des hommes, des peuples, des communautés, des
gens qui autrement vivent dans une paisible cohabitation depuis
longtemps, dans des escalades guerrières, à commettre des atrocités
innommables. Qu'ils soient Serbes, Croates, Bosniaques ou Kosovites,
lorsqu'on traverse un petit village paisible dans les montagnes ou
les plaines vallonneuses, on se demande invariablement comment cela a
pu se passer, qu'est-ce qui a poussé des voisins, depuis des
millénaires, à s'entre-tuer. Et je me dis ensuite que, quoi qu'on
en dise, le pays d'où je viens n'est pas à l'abri de telles
insanités quand il est « dirigé » par des politiciens
qui se croient tout permis simplement par ce qu'une partie de la
population a voté pour eux. Je rêve encore, je garde un peu
d'espoir, qu'un jour nous pourrons avoir confiance en la parole de
ceux qui disent nous représenter, agir en notre nom.
Le vote dans l'enveloppe, dans l'autre enveloppe... |
En traversant
des pays peuplés de citoyens prêts à mourir pour avoir le simple
droit de voter pour leurs dirigeants, je me fais un devoir
aujourd'hui d'exercer ce droit. Aussi ai-je demandé et reçu mon
bulletin de vote pour l'élection provinciale imminente, ici à
Istanbul. Je ne vous direz pas pour qui j'ai voté bien que la
majorité d'entre vous le sachiez bien. Mais je vous invite tous et
toutes à voter avec votre cœur. Indépendamment des partis, votez
pour la personne en qui vous pensez pouvoir avoir confiance, qui
travaillera réellement au mieux-être de votre collectivité et pas
seulement pour un petit groupe d'intéressés. Cette pause « engagé »
n'a été payé par personne!
Sarajevo |
Pour
arriver à Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine, nous avons
opté pour ce qui nous semblait une petite route. À peine sorti de
la région « métropolitaine » de Belgrade, que nous
roulions déjà dans les montagnes, les fameux « Balkans ».
Juste avant de sortir de la Serbie, nous avons traversé le village
d'Émir Kusturica, célèbre réalisateur/comédien serbe, oh
surprise! né à Sarajevo. On s'est arrêter, le temps d'un thé,
sans réussir à y trouver de marque particulière à l'illustre
personnage.
Le long de la route de Sarajevo |
En
arrivant à la frontière Serbe/Bosnie-Herzégovine, le très peu
sympathique douanier Bosniaque est resté intraitable quant à la
« carte verte » que nous n'avions pas pour la moto de
Deniz. On a dû débourser les €25 pour une assurance valide trois
jours seulement . À partir de là, la route suit le lit d'une
magnifique rivière au creux des montagnes et est traversée d'une
succession de tunnels bien souvent dépourvus de lumière, ce qui rend
la conduite surréaliste tellement le contraste est fort par cette
journée ensoleillée. On ne distingue plus que les lignes sur la
chaussée. Plus qu'une centaine de kilomètres dans ce paysage
majestueux avant d'arriver finalement en plein centre de la vieille
ville de Sarajevo.
Un tunnel après l'autre |
On ressent immédiatement le choc culturel en
entrant à Sarajevo. L'empreinte de l'empire Ottoman est omniprésente
partout, dans l’architecture comme dans la gastronomie. Les
mosquées pointent leurs minarets quelque soit la direction vers
laquelle se tourne notre regard. Le café « bosniaque »
est préparé et servi de la même façon que le turc, mais, par
politesse, il serait mal avisé de le leur faire remarquer.
Complètement sous le charme de cette ville, et, disons le, épuisés
par nos trois premiers jours de randonnée, nous avons décidé, sans
avoir besoin d'en discuter longuement, d'y passer deux autres nuits.
Ça nous a permis d'explorer un peu cet endroit charmant, qui s'étale
harmonieusement aux flancs des montagnes, scindé en plein cœur par
une rivière cristalline qui prodigue une fraîcheur apaisante
pendant ces jours caniculaires.
Le réservoir Zlatarsko |
Notre
but étant de s'arrêter dans la capitale de ces pays qui portent
toujours les stigmates d'un conflit pas si lointain, distance oblige
nous avons dû faire une halte à Sjenica, une toute petite ville
serbe en direction de notre prochaine destination, Pristina, la
capitale du Kosovo. Une petite pause baignade s'imposait, quand nous
avons longé le réservoir de Zlatarsko jezero. Il faut dire que par
35°C, même avec le refroidissement éolien dû à la moto, en
apercevant l'eau turquoise les motos se sont pratiquement arrêtées
toutes seules. C'est en traversant Sjenica qu'un jeune français,
dont les parents Serbes originent du-dit village, nous a gentiment
apostrophé lorsqu'il a vu ma plaque d'immatriculation et m'a pris, à
tort, pour un de ses compatriotes. J'ai eu tôt fait d'expliquer la
méprise et il fut d'autant plus enclin à nous escorter directement
au meilleur hôtel du village. Il a même pris le temps d'expliquer
au tenancier unilingue serbe notre provenance et nos besoins. Nous y
avons passé une excellente soirée, une nuit bien reposante dans cet
endroit calme et champêtre .
Chantier laissé en plan à Pristina |
Notre
passage à Pristina ne fut pas des plus mémorable. C'est une très
petite « capitale » (un peu plus de 200 000 âmes) et
tant l'architecture que la gastronomie y sont très « ordinaires ».
Les affres de la guerre encore récente y sont palpables dans les
lieux comme dans les âmes.
Pour
une raison diplomatique, nous avons décidé d'éviter la Macédoine,
les informations sur les procédures d'entrée que nous avions
faisant état de l'obligation de se procurer une assurance
temporaire, ça devenait inutile et coûteux puisque nous n'avions
pas l'intention de nous y arrêter de toute façon. Nous souhaitions
nous rendre jusqu'à Bansko,en Bulgarie, en quittant Pristina. Les
formalités douanières étant déjà assez laborieuses là où
plusieurs frontières se frottent, on a préférer repasser par le
petit bout de Serbie qui s'étire au bas de la carte. Encore une
fois, la route empruntée serpentais joyeusement au creux des
montagnes en longeant de superbes rivières, une randonnée
extraordinaire pour se rendre jusqu'à Bansko. Le douanier bulgare
nous a, par contre, retenu un peu trop longtemps, jusqu'à ce qu'on
arrive à lui expliquer que OUI c'est possible de traverser trois
pays le même jour en empruntant des petites routes dans les
montagnes avec nos fougueuses montures. Il était particulièrement
suspicieux envers Deniz : de voir une jeune rouquine Turque
conduire une BMW ne fait partie de sa clientèle habituelle.
Bansko et le mont Pirin |
Bansko
est une station touristique hivernale hautement prisée par les
skieurs. Sise au pied du mont Pirin et du parc national du même nom,
le nombre d'hôtel de toutes catégories y est impressionnant. En
plein été la municipalité organise un sympathique festival
« international » de jazz et on y trouve à se loger dans
des palaces pour une bouchée de pain.
La scène extérieure du festival de jazz |
La petite ville regorge aussi
d'une multitude de délicieux restos bataillant pour s'attirer la
clientèle en offrant la meilleure gastronomie bulgare à prix
dérisoire. En pratiquant mon yoga matinal, après un copieux
petit-déjeuner, CLAC!, quelque chose a céder dans le bas de mon dos
et je me retrouvais incapable de me relever. Hors de question de
partir à dos de moto! Imaginez un peu : obligé de rester cloué
dans un hôtel qui a un spa, une piscine, des shows de jazz au
programme à tous les soirs, dans une ville délicieuse et gourmande,
avec un décor alpin en arrière-plan. Quel supplice! J'ai dû abuser
des services de l'excellent masseur de l'hôtel.
Délice bulgar |
Après
cinq jours de ses traitements, j'étais en mesure de mettre ma besace
sur le dos de ma Marseillaise et de parcourir une bonne centaine de
kilomètres, jusqu'à Kardzhali. On ne s'attendait à rien de
particulier de cette petite ville, mais sur la route magnifique qui
longe la frontière Grèque, nous avons compté une bonne trentaine
de kilomètres où les habitants font pousser des pierres. Partout,
dans les villages autant que sur de grandes distances inhabitées,
des kiosques de pierre à vendre, comme pendant la saison des fraises
ou du maïs. De la pierre plate, brun/roux ou anthracite, empilée
sur des palettes, prête à partir pour parer votre maison, votre
jardin.
À
Kardzhali, je crois qu'il n'y a que deux hôtels. Le premier est un
gros édifice gris qui date de l'ère soviétique et l'intérieur ne
semble pas avoir bougé depuis la chute du mur non plus. Même la
rombière assise derrière le comptoir de la sombre réception doit y
être depuis sa tendre enfance. Elle tenait mordicus à garder nos
passeports. Ce document étant dédié à l'usage des douaniers, nous
utilisons une petite photocopie couleur plastifiée dans tous les
lieux qui en font la demande et qui ne sont pas gouvernementaux, pour
éviter une petite forme d'arnaque assez commune dans certain pays.
J'ai eu beau lui montrer les originaux, la rombière n'a rien voulu
entendre. Elle tenait absolument à ce que je les lui laisse. Mon
sang de rebelle n'a fait qu'un tour et nous somme partis trouver un
endroit plus accueillant. Après avoir tourné un peu en rond dans la
ville, on a fini par dénicher un petit hôtel charmant, rococo comme
c'est pas possible, où le personnel avenant parlais même le turc,
et qui nous a chaleureusement reçu.
La récolte de pierre a été très bonne cette année |
Le
lendemain, nous nous rendions à Edirne, ville-frontière Turc, aux
abords de la Grèce et de la Bulgarie. Pour éviter la cohue du gros
poste-frontière entre la Bulgarie et la Turquie, on avait dénicher
une petite route qui passait d'abord par la Grèce pour ensuite
traverser en Turquie, directement à Edirne. En théorie, pas de
problème puisque la Grèce et la Bulgarie font parti de l'espace
Schengen, donc pas de douane. En arrivant à la dite frontière, il y
a un petit poste de douane. La police bulgare n'a pas d'inconvénient
à nous laisser sortir mais la grecque ne veut rien entendre :
il faut obligatoirement avoir un passeport européen pour pouvoir
franchir cette barrière. J'ai eu beau supplié le gendarme, le
menacé d'en référer à l'ambassade canadienne; rien à faire! Mon
sang bouille! Entre temps les policiers bulgares s'emparent de nos
documents (passeports et immatriculations) et décident de procéder
à une vérification. Je tape du pied devant la « cabane » :
on a tout de même un détour de 70 km à se taper pour contourner
cette pointe de « graisse » à cause de cette improbable
poste-frontière, alors ne nous retardez pas en plus!! J’exècre au
plus haut point ces abus de pouvoir de petits fonctionnaires, mais ça
doit certainement faire partie des épreuves que j'ai à passer pour
acquérir la patience et la tolérance du sage...?
Şerafettin et Deniz |
Finalement
arrivé à Edirne, où Şerafettin
nous attendais. Şerafettin
est un ami de longue date de Deniz et il connait Edirne et son
histoire de fond en comble puisqu’il y est né. Nous avons passé
une magnifique soirée en son agréable compagnie, à découvrir les
trésors cachés de cette ville à l'histoire chargée, épicentre de
l'antique Thrace, lieux où de nombreuses conquêtes, touts empires
confondus, se sont dénouées.
Il
ne nous restait plus qu'à rouler jusqu'à Istanbul, là où la porte
de Başar nous attendait grande ouverte, une fois de plus. Nous avons
établi notre quartier général chez cet ami au grand cœur avec qui
nous partageons de nombreux points commun, qui nous supporte et nous
prête main forte dans la réalisation de notre audacieux projet.
Pour ceux qui pensent que nous sommes en “vacance”, dites-vous
que d'organiser l'expédition de deux motos par avion depuis Istanbul
jusqu'à Bangkok, c'est un travail à temps plein. On a simplement
bien choisi notre bureau...
Notre place d'affaire, chez Basar |
N'ayez
crainte, on vous fera un compte-rendu des opérations avant de
s'exiler en Asie!