Deniz m'attendait à la
sortie de l'aéroport d'Istanbul. Mais il y avait aussi un monsieur
en chemise blanche et cravate qui avait mon nom d'écrit sur une
pancarte. C'était le représentant de l'agence de location de
voiture. Avant de partir de Montréal j'avais fait une réservation
par l'entremise d'une agence Grec et on m'avait assuré que tout se
passerait « bien ». Et bien tout s'est effectivement
« très bien » passé, avec la voiture. Deniz et moi
étions super excités de nous retrouver après plus de trois mois de
séparation qui ne devait qu'être deux. Le gentil monsieur en
chemise blanche et cravate nous a conduis à la voiture, qui
correspondait en tous points à ce qui avait été demandé. Le temps
de « bien » faire les formalités et nous roulions vers
le centre-ville d'Istanbul, chez Çoşkun
le cousin de Deniz,grand ami et amateur de moto, et de voyage aussi.
Toute la Turquie me
revenait soudain dans la tête, dans les tripes : la façon
rocambolesque de conduire, le soleil, le thé et la femme que j'aime
tout près de moi.
Les génies dans la théière |
Ça urgeait d'arriver!
J'avais de la difficulté à détacher mes yeux des siens et le
trafique dense m'empêchait d'assouvir ma soif de la regarder. Nous
avions tant de choses à nous raconter! J'avais encore les avant-bras
remplis des trous faientpar la multitude d'aiguilles poussées par la
gente médicale dans mes veines endurcies par tant d'intrusions, que
nous nous élancions déjà dans le tumulte de la rue Iskitlal pour
retrouver des amis(es) devant un festin aux saveurs et aux arômes
délicieusement Turc. Les trois jours trop courts passé à Istanbul
présageaient d'un séjour torride, dans tous les sens. Les nuits
moites laissant nos cerveaux un peu nimbés au petit matin, le soleil
du jour plombant qui nous pousse pesamment dans les petits lieux
feutrés et climatisés où il fait si doux de prendre le thé.
Le lac Eĝirdir |
Deniz avait un rendez-vous
à l'ambassade d'Autriche à Ankara pour renouveler son visa et
attendait des indications pour son mémoire de maîtrise. En
parcourant la route entre Istanbul et Ankara, nous avons traversé
encore une fois Beypazari, que nous avons élu ville mythique
tellement nous l'avons traversé souvent, et si intense on été les
moments que nous y avons vécus. Le retour dans le petit logement qui
a vu naître notre amour il y presque un an était aussi empreint de
doux souvenirs.
Un des buts de notre
séjour était de rendre visite à sa maman, que je fasse sa
connaissance, que je découvre la maison où elle a grandi à
Kuşadesi, près
d'Izmir. Comme rien ne nous retenait plus dans la
capitale, nous sommes partis le surlendemain en faisant un grand
détour vers le sud, question de s'offrir quelques jours en amoureux
à Kaş.
Nous en avons profité pour vider les « quelques effets »
qui lui appartenaient encore dans le logement d'Ankara pour déposer
ça chez maman. La voiture pleine à craquer, nous avons fait un
premier escale à Eĝirdir,
un grand lac à mi-chemin entre Ankara et la mer Méditerrané. Comme
avec la moto, on emprunte les routes secondaires qui sont cent milles
fois plus jolies et agréables que les autoroutes, tous pays
confondus. Mais dans le cas de la Turquie, c'est spectaculaire et on
évite ainsi les “pilotes” Turcs, nombreux à tester leurs
habiletés sur les “highways”, pour voir si leur voiture peut
voler.
L'hôtel à Kaş |
Je me retrouvais donc, un
ans plus tard, encore une fois au même endroit puisque Kaş
fut un des moments fort et plaisant du périple fait en compagnie de
Lili Rose. Deniz commence d’ailleurs à être à court d'endroits à
me faire découvrir en Turquie. Et pas seulement Deniz en fait. Tous
mes amis(es) Turcs qui voudraient bien me faire connaître un petit
coin de leur magnifique pays sont perplexes de ne pouvoir dénicher,
dans la Turquie occidentale, un lieu qui m'est inconnu. Il me reste
bien sûr tout l'est à parcourir, la portion majoritairement peuplée
par les Kurdes, qui, soit dit en passant, revendiquent aussi leur
indépendance mais de façon beaucoup plus extrême que les
québécois. Mais comme les révolutions semblent me suivre à la
trace (ou c'est moi qui m'y précipite?) j'évite encore ce coin-là
pour l'instant.
Canyonnage |
J'ai
ainsi fait découvrir à Deniz le modeste mais sympathique petit
hôtel que Lili Rose et moi avions beaucoup aimé l'an passé. Situé
pratiquement au dessus de la mer, on a même pas besoin de mettre nos
gougounnes pour aller plonger dans l'eau turquoise et limpide, pour
s'y prélasser paresseusement toute la journée quand le soleil nous
tabasse durement. À quelques enjambées du centre-ville qui s'anime
joyeusement quand le soir vient, c'est vraiment le meilleur endroit.
Le gentil Hassan était encore là pour nous accueillir, surpris de
m'y revoir avec une autre femme ravissante, mais sans moto cette
fois. Une journée de kayak précédée d'un après-midi de
canyonnage étaient des activités propices à mon rétablissement
progressif.
En
direction de Kuşadesi une escale, même deux, s'imposaient. Un
“petit” détour de 200 km pour voir Datcha, tout au bout de la
péninsule qui sépare la mer d'Égée de la mer Méditerrané, aura
permis à Deniz de me faire découvrir un lieu que je n'avais pas
encore visité dans la Turquie occidentale. Il y a, en temps normal,
un traversier qui relie Datcha à Bodrum, là où nous avions
maintenant rendez-vous avec Sema, la maman de Deniz. On y passerait
un peu de temps chez des amis de la famille avant de se rendre à
Kuşadesi, où elle habite. Mais suite à un incident récent le
service de traversier était interrompu. Ça nous a obligé à
parcourir les 200 km par la route plutôt que de faire l'agréable
petite croisière de deux heures que nécessite la traversée.
Deniz et Sema |
Ma
rencontre avec Sema n'aura pas été le moment de joie partagée que
j'avais souhaité. Les projets de Deniz avec moi ne correspondent pas
du tout à ce qu'elle avait “prévu” pour Deniz. Le choc des
générations et des cultures aura occupé la majeure partie de nos
échanges. J'éprouve beaucoup de compassion pour cette femme
courageuse qui doit maintenant accepter les choix des ses “filles”
chéries, devenues femmes, adultes elles-mêmes. L'acceptation étant
généralement un processus long et souffrant, son cheminement
s'annonce ardu. Souhaitant profiter le plus possible des “derniers”
instants à passer avec Deniz, j'ai tenté de leur laisser autant
d'intimité qu'elles le désiraient. Jusqu'au moment d'embarquer dans
l'avion qui nous ramenait vers l'Autriche, j'ai aussi essayé de
rassurer Sema quant à ma détermination à veiller sur Deniz de mon
“mieux”. Le temps et l'amour s'occuperont du reste.
Deniz et Tesla |
Dès
le premier jour de notre retour en Autriche nous avons commencé les
recherches afin de trouver la moto idéale pour Deniz. Et comme si
la vie approuvait notre projet, la première bécane qui correspond
en tous points à ce que nous cherchons se trouve tout près, à
Graz, et la sympathique propriétaire est disponible dans l'heure à
nous la présenter. C'est le coup de foudre pour Deniz qui fait
l'essai d'une BMW F650 GS bleue pour la première fois de sa vie: ses
premiers «pas» à moto étaient sur une petite 125 cc, dans un
stationnement à Ankara. Pour moi, une 650 GS 2003 avec 16000 km au
compteur, en parfaite condition et toute équipée des valises, c'est
une aubaine! Pourquoi chercher plus loin? Afin d'obtenir
l'immatriculation, j'ai dû renoncer à faire comprendre au
fonctionnaire autrichien nos plans futurs concernant la moto. Après
1 an, nous tomberons donc dans un vide administratif interstellaire
quant aux cadres légaux autrichiens. On avisera en temps et lieux...
Heureuse motocycliste |
Le
fait d'avoir trouver la «bête» de Deniz aussi rapidement nous
permet de commencer son entraînement plus tôt et les premiers jours
ont été difficile autant pour Deniz que pour la moto. Avant de
maîtriser l'équilibre dans diverses situations, Deniz et Tesla (ce
sera le nom de la moto) ont mangé du bitume et de la terre à
quelques reprises. Deniz en avait des crampes tous les matins avant
de partir à l'entraînement. À la fin de la première semaine une
grande randonnée et un peu de repos s'imposent.
Deniz et Duygu |
Nous
partons rendre visite à Duygu, la sœur de Deniz, qui est en stage
à Munich pour trois mois. Question de garder le rythme de
l'entraînement, nous empruntons les petites routes à travers les
Alpes autrichiennes pour se rendre jusqu'à Salzburg, première étape
du périple. Après avoir grimpé à 2000 m d'altitude sur la petite
route sinueuse, jusqu'au sommet du col de St-Pierre-Sölkpass-Murau
,
pris quelques photos avec les névés qui s'attardent là encore en
juillet, les éclairs, le tonnerre et la pluie sont venus agrémenter
la fin de notre descente. Rien de tel qu'une douche froide pour
peaufiner l'apprentissage!
Névé au sommet: 2000m! |
Stationnement de BMWs |
Deniz
était fourbue et trempée en arrivant à Salzburg, où nous avons
passé la nuit. Notre visite à Munich n'aurait pas été complète
si nous n'avions pas fait un saut chez BMW Motorrad à Munich: le
temple s'offrait à nous, impossible de ne pas s'y arrêter! Pour le
retour à Graz, on a fait le détour par le Tegernsee et le Gerlos
Alpenstrasse:
des paysages à couper le souffle. Tellement qu'on avait plus du tout
envie de rester à Graz jusqu'à notre départ officiel. On a donc
décidé d'aller passer une douzaine de jours en Italie, de descendre
jusqu'en Toscane en commençant par Trieste tout au bout de l'Italie.
Ricardo à Trieste |
Deniz
a repris contact avec un ami qu'elle n'avait pas vu depuis 10 ans,
qui s'adonne justement à avoir emménagé récemment à Trieste pour
1 an: quelle coïncidence vous ne trouvez pas? Ricardo connaît plein
de gens qui habitent justement au cœur de la Toscane, dans le
Chianti: drôle de coïncidence vous ne trouvez pas?