14 mai 2011

Le Capitaine Popov au royaume des Ottoman


Le printemps Turc est particulièrement frileux cette année. La chaleur tarde à s'installer, les journées grises et pluvieuses, jusqu'à tout récemment, étaient fréquentes. Mais les rares percées d'un soleil de plomb laissent présager d'un été douillet, chaud, un peu moite même. Après le départ d'Alisa et ensuite de Marisa, j'ai tergiversé trois jours durant entre mon désir de quitter la Cappadoce et ma répulsion à affronter les routes Turcs par cette météo londonienne. 
Aux premiers trous bleus aperçus du fond de ma grotte humide, j'ai chargé ma Marseillaise comme la fidèle mule qu'elle est, et j'ai pris la direction d'Ankara. J'avais eu tout le temps nécessaire de me tracer un parcours hors des sentiers débattus. C'est chaque fois pareil; je suis comblé, béat, un peu gaga et complètement ému jusqu'aux larmes quand je traverse des paysages aussi magnifiques. Les villages microscopiques qui se résument parfois à quatre maisons et une grange, à peine un point noir sur google maps zoomé au maximum. Gravir des montagnes géantes sculptées comme des visages de vieillard centenaire, par une nature impitoyable mais si généreuse, porté par le rugissement de ma valeureuse monture aux allures de bête moderne. Je finis inévitablement par entrer dans une méditation contemplative, à toucher, au fond de moi, l'endroit où repose tout le respect, l'humilité et la gratitude de pouvoir aujourd'hui poser mon regard sur ces merveilles. 
J'ai souvent l'impression d'être l'homme le plus riche du monde quand l'espace d'un instant je m'approprie d'un regard ces montagnes, rivières, lacs, océans, vallées, gorges abyssales, villes spectaculaires, ces villages sortis tout droit de contes fabuleux, quand je croise sur une route déserte depuis plusieurs kilomètres, un troupeau de moutons surveillé par un homme, encore presqu'un enfant, abasourdi de me voir surgir de nul part. Dans ces moments de grâces je « suis » l'homme le plus riche du monde.
Arrivé à Ankara je ne savais trop combien de temps j'y séjournerais, envi de laissé le destin décider, mais aussi d'un peu de confort après les derniers jours passés dans la caverne grise et froide de Gorëme. J'ai opté pour un hôtel dans le quartier étudiant, aux promesses trompeuses; mis à part la chaleur et le confort moyen de la chambre, la prestation était moins que moyenne, proche de médiocre. Ankara, même si c'est la capitale, est réputée comme très ennuyeuse par tous les Turcs qui n'y vivent pas. Les ankariens(?) sont même un peu considérés comme nos Newfies ou les Belges des français. J'en ai profité pour faire mes démarches afin de trouver des hôtes CouchSurfers pour le temps de ma visite à Istanbul.
Pour ne pas abuser de l'hospitalité des gens qui nous accueillent, j'essaie de ne jamais solliciter plus qu'une semaine. J'ai eu deux réponses favorables à ma demande pour les dates prévues en fonction de l'arrivée de Lili Rose, ma fille. Bashar, un des deux hôtes, m'a donc suggéré de ne pas m'éterniser à Ankara et de venir m'échouer dans sa villa, située à vingt minutes du centre d'Istanbul. Malgré les augures de pluie et les recommandations de Bashar, j'ai choisi de passer par des routes que même plusieurs Turcs ne connaissent pas tellement le petit trait en zigzague pâle sur les cartes routières paraît insignifiant. 
J'ai été généreusement récompensé, encore un fois, par l'extraordinaire spectacle qui s'est offert à mes yeux. Les nuages s'étaient fermement accrochés au sommet des pics montagneux dont j'ai longé les flancs, traversé les cols. Les rivières, gonflées par les pluies, dessinaient un ruban ocre au creux des gorges et contrastaient avec la lumière blafarde qui baignait ces paysages d'où je n'aurais pas été surpris de voir surgir des clans de gnomes et des hordes de trolls, au détours des virages serrés comme des lacets de bottines souriantes. En arrivant au traversier de Yalova j'étais un peu maculé de bouette, pour avoir parfois suivi des semi-remorques sur des bouts de route pas toujours recouverts de bitume, mais on m'a quand même laissé embarquer sur le navire qui m'a déposé de l'autre côté de la mer de Marmara, plus très loin d'Istanbul.
C'est le jardinier et la mère de Bashar qui m'attendaient, quand je suis arrivé presqu'au crépuscule, avec l'air d'un petit garçon qui s'est amusé toute la journée dans un champs de patate par temps pluvieux.
Bashar, lui, est arrivé une demi-heure plus tard avec deux poissons à engloutir et pleins d'histoires à partager. Il est aussi motard depuis peu et sa GS1200 rouge repose au fond du garage jusqu'à dimanche. Il tient la boutique de costumes porté lors de la circoncision par les jeunes hommes en devenir, de son père et de son grand-père avant lui. Ici c'est un événement célébrer comme la première communion pour les catholiques. 
Il est tristement en instance de divorce depuis quelques années et a la garde de sa fille de quatorze ans, une semaine sur deux. Sa villa est absolument magnifique. Sa mère et sa sœur habitent les villas voisines et mitoyennes à la sienne, au faîte d'une colline qui surplombe un lac, entourées de forêts verdoyantes. On aperçoit au loin les grattes-ciel qui s'éparpillent autour de la vieille ville d'Istanbul. J'ai accompagné Bashar en ville hier pour ma première trempette dans cette ville qui transporte notre imagination au cœur de royaumes mythiques et flamboyants, au gré la découverte. Je vais y aller à petites doses question d'en garder pour quand Lili Rose arrivera, mais je peux vous dire d'ores et déjà ce sera passionnant.
Ne manquez surtout pas la suite...

Gulë gulë (au revoir en Turc, pour celui qui reste...)

06 mai 2011

Si y rit, moi aussi!



Avant de quitter Amman j'ai dit au sympathique gérant du petit hôtel où j'ai logé que si je n'obtenais pas de visa pour la Syrie je serais de retour vers l'heure du souper. Dans presque tous les pays arabes que je traversé, je dois aussi payer un p'tit quelque chose en sortant et la Jordanie ne fait pas exception. Que ce soit pour la moto ou moi, les frontières sont payantes. Les canadiennes, aux dires de plusieurs, sont infernales malgré le froid, et ça ne devrait pas s'améliorer sous peu compte tenu du « néo-conservatisme » qui y fera loi.
 Ceci dit, j'ai traversé les 50 mètres qui séparent les postes jordanien et syrien, et je suis entré au bureau de l'immigration de Syrie. Les deux agents qui s'occupaient des étrangers ce jour-là, semblaient d'assez bonne humeur. Après avoir examiné mon passeport, celui qui « parlait » anglais m'a fait signe de m'approcher. Il m'a dit que je devrais peut-être retourner en Jordanie, qu'étant donné la situation il n'était pas certain d'obtenir la permission de me délivrer un visa. Alors j'ai mis mon regard de papa implorant et je lui ai expliqué que je devais absolument pouvoir traverser la Syrie pour rejoindre ma fille adorée en Turquie, que je pouvais effectuer la traversée en deux ou trois jours, que je souhaitait éviter Israël à tous prix et que je lui serais éternellement reconnaissant de faire son gros possible pour m'accorder cette immense faveur. Il m'a dit de m'asseoir, que ça pourrait prendre une heure ou deux mais qu'ils attendaient la réponse d'un haut responsable à Damas.
À peine une demi-heure plus tard, pendant qu'il était au téléphone, il me faisait signe d'un pouce en l'air que c'était gagné! Si y rit, moi aussi! Ce même jour les deux agents qui s'occupent d'encaisser l'argent pour les divers formalités avaient, semble-t-il, décidé de prendre congé. Je n'ai pas trop compris ce qui c'est passé puisque les discussions enflammées avec une femme au prise avec le même problème que moi, étaient en arabe. Mais au bout d'une autre demi-heure un guichet s'ouvrait et j'ai pu payer les frais du visa de trois jours qui m'était accordé. J'ai déjà vu bien des aberrations bureaucratiques, mais comme celle-là, jamais. Me restait encore les formalités de douanes pour la moto. Je pensais avoir fait un bon coup en changeant des dinars jordaniens en livres syriennes avant de partir de Amman, mais je suis resté pantois quand le guichetier m'a dit qu'il n'acceptait que les dollars US ou les dinars jordaniens. 
Je riais un peu jaune en expliquant au guichetier que c'était très étrange de ne pas accepter leur propre monnaie à la frontière. Il a fini par prendre une partie de la somme à payer en livres syriennes. Aussitôt sorti du poste frontière une file d'automobilistes et de camionneurs me font signe de m'arrêter. Pas très loin de là, j'apperçois une colonne de fumée noire qui m'incite à obtempérer. On m'apprend que la route est bloquée par des manifestants et que ça canarde un peu, qu'il va falloir patienter. J'ai eu tôt fait d'avoir un groupe de mecs agglutiné autour de la moto, l'examinant sous toutes ses coutures. J'ai même eu droit à une invitation pour un café turc par celui des camionneurs qui baragouinait un peu l'anglais. À peine le temps d'enfiler le délicieux breuvage qu'on me signale que la route est libre... J'ai remercié l'Univers une bonne douzaine de fois d'avoir choisi une moto tout terrain pour faire ce voyage quand en zigzaguant au travers des objets et débris utilisés pour ériger des barrages de fortune, je devais présenter mon passeport, parfois au manifestants survoltés, plus loin au militaires sur les dents.
J'ai filé ensuite jusqu'à Damas où tout était calme et j'y ai passé une magnifique soirée, soulagé d'être finalement entré au pays sans trop de difficultés. En me promenant dans la ville j'ai regretté un peu de n'avoir que si peu de temps pour visiter cette ville magnifique. L'ambiance de la médina le soir venu était envoûtante, éblouissante. Comme je ne disposais d'aucune marge de manœuvre advenant un pépin, j'ai, pour une des rares fois du voyage, emprunté le réseau autoroutier pour me rendre tout près de la frontière turque, la veille de l'expiration de mon visa. Je n'ai pas même pris le temps de m'arrêter prendre quelques photos. Les quelques syriens que j'ai eu le plaisir de rencontrer étaient d'une gentillesse peu commune, tellement accueuillant que j'ai presque eu envie de rester un p'tit peu plus... Contrairement à d'autres pays arabes où les changements politiques sont unanimement revendiqués par la population, la Syrie est très divisée sur la question et la faute impardonnable du dictateur réside principalement dans sa façon brutale et meurtrière d'avoir traité ses opposants. Mais je vous fais grâce de mes réflexions politiques pour l'instant.
Je me suis donc rendu jusqu'à Iskenderun, en Turquie, où j'ai pris une petite pause. Cette petite ville côtière méditerranéenne est assez agréable. Je croyais y avoir rencontré un Turc sympathique et attentionné, mais j'ai compris trop tard qu'il m’escroquait gentiment, à petites doses. J'ai tendance à vouloir faire confiance, mais parfois la nature humaine s'exprime drôlement...
D'Iskenderun jusqu'à Mersin, j'ai emprunté des petites routes de campagne bordées de plantation d'agrumes. Les effluves d'orangers en fleur sont absolument affriolantes, mais cette région est aussi très industrieuse et par conséquent encombrée de semi-remorques qui « marchent au fioul »...
En me baladant à Mersin sur la promenade piétonnière qui longe la mer, j'ai fait la connaissance de Ahmet, quand une soudaine averse m'a poussé à me réfugier dans un petit café sur le quai de la marina.
Ahmet parle un français impeccable pour avoir été attaché culturel Turc en France et avoir terminé sa carrière comme professeur de français. Il joue aussi de la darbouka, un instrument de percussion Turc, dans un orchestre traditionnel. Le soir même, il m'invite au concert donné gratuitement par la chorale de l'université de Mersin. Plongeon sublime dans la culture Turc. Ils étaient soixante-dix chanteuses, chanteurs et musiciens dans un concert de deux heures des meilleures pièces de musique traditionnelle Turc. Grandioses! Ahmet n'en finissait plus de me présenter à tous ses amis et connaissances et je lui ai promis de lui rendre visite avec ma fille si notre périple en Turquie nous ramène sur les rivages où il passe tout ses étés, à une soixantaine de kilomètres de Mersin.

J'avais ensuite un rendez-vous particulier, dans la région spectaculaire de Cappadoce http://fr.wikipedia.org/wiki/Cappadoce , avec Merisa, dont j'ai fait la connaissance à Aswan, en Égypte. Elle se dirige vers la Syrie pour s'envoler ensuite de Amman vers l'Inde. La région Cappadoce est parsemée de villes souterraines et d'habitations troglodytes creusées par les habitants d'une autre époque, dans ce paysage féérique sculpté par le volcanisme. 
J'en ai parcouru les routes extraordinaires, vu le décor surréaliste, avec Alisa, une mignonne petite russe blonde que j'ai rencontré quand je suis arrivé à la pension familiale où j'habite depuis une semaine. Je file bientôt vers Istanbul pour y cueillir ma fille adorée qui débarque pour notre rencontre bis-annuelle. Un gros mois et demi de pur bonheur, à faire de la moto dans un pays rempli d'histoire, de culture et de paysages fabuleux. Mes premières expériences des hammams étaient absolument délectables et je vous garantis qu'elles seront nombreuses. J'ai l'épiderme doux comme de la peau de fesse. Faudrait bien que je trouve avec qui partager ça!